Anatomy of the analogue: The preservation of Frank Theys' video installation Oratorium For Prepared Video Player And Eight Monitors (1989)

Author: Emanuel Lorrain (PACKED vzw)

Publication date: October 2011

 

(Fig. 1) Image tirée de la vidéo de l’installation de Frank Theys Oratorium For Prepared Video Player And Eight Monitors.

 

Introduction

Le projet Obsolete Equipment : la préservation des équipements de lecture et de monstration des œuvres d’art audiovisuelles comprenait la réalisation de dix-huit études de cas d’œuvres issues des collections de cinq institutions belges et néerlandaises : l’Institut néerlandais pour le patrimoine culturel (ICN, Amersfoort), le Kröller-Müller Museum (KMM, Otterlo), le musée d’art contemporain d’Anvers (M HKA), l’Institut néerlandais pour les arts médiatiques (NIMK, Amsterdam), le musée d’art contemporain de la Ville de Gand (SMAK) et le Stedelijk Museum (Amsterdam)1. La première partie du projet s’est concentrée sur les installations vidéo. Oratorium For Prepared Video Player And Eight Monitors2était l’une des quatre œuvres issues de la collection du M HKA sélectionnées pour des études de cas. S’il était impossible de réexposer toutes les œuvres pour les besoins du projet, Oratorium a elle été montrée deux fois, à deux occasions différentes. La première fois au M HKA, lors de la présentation des collections Collectiepresentatie XXV (19/3/2010 – 06/04/2010) puis à Argos – Center for Art and Media à Bruxelles (05/11/2010 – 11/12/2010) dans le cadre du festival Open Archive II. Les deux expositions ont permis d’observer l’œuvre plus en détail et d’identifier les problèmes causés par l’obsolescence de la quasi-totalité de ses composants. Cet article traite exclusivement des problèmes liés aux équipements et des différentes mesures de conservation permettant de les résoudre ou de prévenir leur apparition. Ce texte s’appuie principalement sur deux sources : le travail sur l’installation de Frank Theys réalisé par PACKED vzw avec l’aide du M HKA ; et la liste de recommandations pour la préservation des équipements obsolètes élaborée en collaboration avec NIMK.

 

Description de l’œuvre

Le terme oratory désigne une composition musicale incluant un chœur, un orchestre et des solistes. Il s’agit généralement, mais pas nécessairement, de la mise en musique d’un libretto sacré sans décor ni action scénique. Cela peut aussi désigner un oratoire, un lieu de prière doté d’un petit autel. Dans l’installation de Frank Theys, ce petit autel prend la forme d’un lecteur U-matic posé sur un amplificateur de guitare basse équipé de haut-parleurs. Disposés en cercle autour de ces deux appareils empilés, huit moniteurs vidéo se font face, placés sur des supports métalliques créés spécialement pour l’installation. Chaque moniteur diffuse le portrait en gros plan et en noir et blanc d’un homme qui chante en playback You’ll Never Walk Alone, le célèbre chant des supporters du Liverpool Football Club. La bande sonore est une version polyphonique de la chanson interprétée par la chorale masculine de l’université catholique de Louvain (Belgique).

La bande U-matic de ¾” sur laquelle cette séquence de deux minutes a été enregistrée deux fois, a été retirée de la cassette et mise en boucle grâce à du ruban adhésif transparent. Montée sur sept trépieds disposés en cercle à l’intérieur d’un plus large cercle de moniteurs, la boucle sort du lecteur et forme un parcours à travers l’installation. Les trépieds sont des pupitres dont on a retiré la partie supérieure – où l’on pose habituellement les partitions. Ils allongent matériellement le chemin normalement parcouru par la bande dans le lecteur en le déployant dans l’espace.

Dans Oratorium, le processus de transmission du signal vidéo est dévoilé, et ses différents éléments rendus visibles. L’appareil lit la bande U-matic, dont les signaux audio et vidéo sont envoyés au moniteur placé juste devant le lecteur grâce à deux câbles joints. Ce premier moniteur est connecté aux autres par le biais des entrées et sorties audio et vidéo situés à l’arrière de chacun d'eux, pour former un montage en série. Un câble en spirale spécifique (RCA/Jack 6,35 mm) relie le lecteur à l’amplificateur Marshall. Le son est en mono et, pour l’artiste, l’amplificateur sert à reproduire les basses fréquences de la bande sonore, et les enceintes intégrées des moniteurs les fréquences moyennes et hautes.

 

(Fig. 2) Vue de l’installation de Frank Theys Oratorium For Prepared Video Player And Eight Monitors, lors de l’exposition à Argos – Center for Art and Media (Bruxelles), 2010. Photo : Jan Kempenaers.

 

Signification de l’œuvre

Tandis que la bande entre et sort du lecteur, il existe une connexion ininterrompue entre l’image vidéo et son « support », puisque les images sur les moniteurs semblent soutenir leur propre support, sans lequel elles n’existeraient pas. « L’image se porte elle-même et son propre support en permanence. C’est un oratorio qui chante les louanges de la relation incassable entre l’image et son support, et qui remet en question la relation traditionnelle entre image et support » (Monteyne, N. 1995).

Lors d’une discussion organisée dans le cadre de l’exposition Open Archive II à Argos, Frank Theys expliquait que lorsqu’il avait créé l’œuvre en 1989, il avait imaginé Oratorium comme une sorte de réponse occidentale au TV Buddha de Nam June Paik (une installation en circuit fermé datant de 1974 dans laquelle une statue de Bouddha observe sa propre image, filmée et diffusée en temps réel sur un téléviseur). Il existe en effet des ressemblances formelles et conceptuelles entre les deux œuvres, et certaines analyses avancées par Nathalie Monteyne au sujet d’Oratorium pourraient sans doute également s’appliquer à la pièce de Paik.

« Cette œuvre aurait pu s’appeler “Émanation”. L’émanation, ou la théorie corpusculaire, selon laquelle toute chose, pour autant que son évolution ne soit pas interrompue, provient du principe le plus grand, est représentée ici de manière extrême. Frank Theys crée un circuit fermé dans lequel l’image contemple ses propres entrailles, son propre support. La répétition continue du son et de l’image, la connexion permanente entre l’image et le support forment un cercle complet excluant toute créativité, tout comme dans la théorie corpusculaire. L’artiste est-il capable d’agir avec créativité ou a-t-il besoin d’être représenté comme une figure divine qui observe ses propres entrailles ? » (Monteyne, N. 1995).

Pour prolonger cette analogie avec les « entrailles », l’œuvre aurait également pu s’appeler « Anatomie de l’analogique », dans la mesure où la configuration circulaire et la mise à nu des mécanismes de l’installation rappellent, en quelque sorte, les théâtres anatomiques du XVIIe siècle. Dans Oratorium, les « organes » de l’œuvre, c’est-à-dire le support, les équipements, le son et l’image, sont exposés et dispersés dans l’espace pour révéler leurs relations intrinsèques.

 

Historique des expositions et des évolutions

Dans le catalogue de l’exposition Reconstructing Swiss Video Art from 1970s and 1980s, J. Gfeller écrit : « La première apparition réelle d’une œuvre d’art vidéo – son commencement, pour ainsi dire – a probablement lieu dans le studio de l’artiste ou lors de la première exposition. C’est là que l’œuvre montre sa valeur pour la première fois, après quoi elle sera sans doute améliorée pour d’autres performances (qui peuvent en effet se dérouler dans le cadre d’expositions) » (Gfeller, J. 2009).

Oratorium For Prepared Video Player And Eight Monitors a été montrée onze fois et a subi plusieurs modifications entre 1989 et 2011.

Historique :

• Beursschouwburg, Bruxelles, Belgique (1989).
• Tagankatheater, Moscou, Russie (1990).
• Kijkhuis, La Haye, Pays-Bas (1990).
• Retrospectieve van Belgische video-installaties, M HKA, Anvers, Belgique (26/06/1993 – 29/08/1993).
• Gemartelde Tijd : 16 Kunstenaars en de ‘Marteling’ van de Heilige Erasmus’ van Dirk Bouts, Transit, Kapel van de Romaanse Poort, Louvain, Belgique (1995).
• Collectiepresentatie XIX – Een Verhaal van het beeld, M HKA, Antwerp, Belgium, (31/05/2007 – 19/08/2007).
• Collectiepresentatie XXV, M HKA, Anvers, Belgique (19/3/2010 – 6/04/2010).
• Open Archive II Festival, Argos -– Centre for Art and Media, Bruxelles, Belgique (05/11/2010 – 11/12/2010).

Autres expositions non datées :

• BUDA, Courtrai.
• STUK, Louvain.
• Concert Noble, Bruxelles.

 

(Fig. 3) L’œuvre Oratorium For Prepared Video Player And Eight Monitors exposée au M HKA lors de l’exposition Retrospectieve van Belgische video-installaties en 1993. Photo : Frank Theys.

 

Comme l’explique l’artiste, les premières versions de l’œuvre utilisaient des postes de télévision (dont le modèle n'a pas été documenté). Ces derniers ne possédant pas d’entrée ni de sortie vidéo et le signal vidéo U-matic était transmis comme signal à ultra haute fréquence (UHF) grâce à des câbles coaxiaux. Le signal UHF issu du lecteur devait être amplifié au moyen de petits amplificateurs ronds. Sans amplification, le signal n’était pas assez puissant pour alimenter les huit téléviseurs. Par la suite, lors d’une autre exposition, d’autres modèles de téléviseurs furent utilisés (aucune documentation sur ces modèles non plus). Ces postes étaient très sensibles à l’instabilité du chemin de la bande, et changeaient de chaîne chaque fois que le signal était perdu. Il a fallu, pour que l’œuvre puisse être montrée, utiliser un correcteur d’instabilité (time base corrector, ou TBC), un modèle I.DEN IVT-7, pour stabiliser le signal. Le TBC était placé entre l’amplificateur et le lecteur U-matic.

Quand le M HKA a acquis l’œuvre en 2004, il a également acheté de nouveaux téléviseurs (JVC AV 14 BM 8 S). Ceux-ci possédaient une entrée vidéo, et les connexions RF coaxiales d’origine ont pour cette raison été remplacées par des connexions vidéo composites. À la place des petits amplificateurs UHF, le musée a utilisé un amplificateur-distributeur de signal (KRAMER VM-10ARII) auquel chaque téléviseur était connecté. Ce dernier était placé au sol, derrière l'amplificateur Marshall. En 2007, quand l’un des téléviseurs JVC est tombé en panne, le M HKA a remplacé tous les postes TV de l’installation par des moniteurs CCTV professionnels noir et blanc (moniteurs 4:3 15” Abus Profiline TV8121). Ceux-ci avaient une diagonale légèrement plus grande (15”) que les téléviseurs qu’ils remplaçaient (14”), mais l’artiste les avait choisis parce qu’ils étaient adaptés aux supports et pour leur design simple et moins daté. Ces moniteurs possèdent des entrées et des sorties pour les signaux vidéo composites, rendant dès lors la sortie UHF et le TBC inutiles pour montrer œuvre.

Lors de l’exposition Collectiepresentatie XXV au M HKA (19/3/2010 – 06/04/2010), l’œuvre fut d’abord installée avec le TBC et l’amplificateur-distributeur de signal. Après un test et des discussions avec Frank Theys – qui se rappelait pourquoi le TBC était utilisé à l’origine – il est apparu que le TBC n’était plus nécessaire pour garantir une stabilité suffisante du signal vidéo, et il a donc été décidé de le retirer. De plus, grâce à leurs entrées et sorties, les moniteurs CCTV peuvent être connectés en série et il n’y avait donc plus besoin d’un amplificateur de distribution car leur impédance de 75 Ω donne un signal assez puissant pour huit moniteurs. Une fois ces deux pièces (qui n’étaient pas là à l’origine) et les nombreux câbles au sol retirés, l’œuvre a retrouvé un aspect plus minimaliste, fidèle à l’intention de départ de l’artiste.

La manière dont le signal vidéo est transmis dans l’installation ainsi que la quantité et la position des câbles représentent, pour Frank Theys, un aspect important de l’œuvre. Les câbles doivent pendre à un mètre du sol et former un demi-cercle entre les moniteurs, cette courbe constituant une sorte d’écho visuel à la bande qui circule suspendue entre les trépieds. De nouveaux câbles avec des longueurs spécifiques calculées sur la position des moniteurs ont été commandés, avec le concours de l’artiste, durant l’exposition à Argos. L’œuvre a pu enfin être montrée comme le voulait Frank Theys, avec un minimum d’équipements et de câbles, puisqu’un seul câble est nécessaire" pour relier le premier moniteur au lecteur U-matic et les moniteurs suivants entre eux.

L’amplificateur d’origine a également été changé, au profit de celui qui se trouve aujourd’hui dans la collection du M HKA. L’amplificateur Marshall utilisé actuellement a été acheté en suivant les instructions de Frank Theys, lorsque le musée a acquis l’œuvre en 2004. La présence physique de l’amplificateur et la marque Marshall sont aujourd’hui visuellement très importantes au sein de l’installation. Cependant, le caractère connoté et très reconnaissable de cet amplificateur n’a jamais été considéré par l’artiste comme un élément majeur de l'œuvre. Avant l’acquisition de cet amplificateur, l’œuvre avait été montrée avec deux enceintes noires amplifiées et accolées qui appartenaient au père de Frank Theys. Elles étaient devenues inutilisables après avoir souffert de l’humidité lorsque l’œuvre était encore stockée par l’artiste.

 

Composants actuels de l’œuvre

Le lecteur U-matic

Le lecteur Sony VP-2030 utilisé dans Oratorium fait partie d’une des premières générations de lecteurs U-matic fabriqués par Sony. Les lettres VP signifient « video player » (lecteur vidéo), indiquant qu’il ne s’agissait pas d’un appareil enregistreur (VTR) mais d’un simple lecteur dépourvu de têtes d’enregistrement. Le boîtier du lecteur se compose de bois, de métal et de plastique. Le chargement des cassettes qui se fait par le haut, constitue un élément très important pour l’œuvre. En effet, outre leur apparence très différente, les modèles de lecteurs U-matic ultérieurs ne peuvent pas être modifiés ni donc utilisés pour cette œuvre. Leur système de chargement par l’avant ne permettrait pas de lire la bande sans qu'elle soit pour cela logée dans une cassette.

Pour faire sortir la bande de l’appareil, Frank Theys a lui-même modifié le lecteur U-matic d’origine (provenant du service audiovisuel de l’université catholique de Louvain). Il a découpé un morceau à l’avant du lecteur et a ajouté un système fait de bobines vides d’une cassette U-matic et de quelques pièces de Meccano®. Le système de chargement de la cassette a également été transformé et neutralisé. Ces manipulations sur le lecteur ont été effectuées avec l’aide de Miel Engelen, à l’époque propriétaire de 4E Technology (4E.be).

 

(Fig. 4) Le logement de la cassette modifié du lecteur U-matic dans Oratorium For Prepared Video Player And Eight Monitors. Photo : Emanuel Lorrain.

 

Les moniteurs

Les appareils actuels, des moniteurs Profiline TV8121 noir et blanc de 15”, commercialisés par Abus – Security Center, sont conçus pour les systèmes de vidéosurveillance. Comme nous l’avons expliqué plus haut, leurs caractéristiques techniques concernant les connexions entrantes et sortantes, sont importantes pour le câblage de l’installation. Afin de maintenir la cohésion de l’œuvre, les huit moniteurs doivent être identiques et doivent pouvoir être placés sur les supports métalliques réalisés spécialement pour l’œuvre par le M HKA d’après les instructions de l’artiste. Pour Frank Theys, l'apparence minimaliste et sculpturale, ainsi que la couleur grise des moniteurs CCTV actuels s’intègrent bien à l’œuvre, le design de ces derniers étant plus simple et standard que celui des téléviseurs utilisés auparavant.

 

L’amplificateur

L’œuvre utilise actuellement un amplificateur Marshall 4150 Club and Country Bass 100W 4x10 Combo Compressor Bass Amp. Il n’existe sur Internet que très peu de documentation sur cet amplificateur et en partie d’abord parce qu'il s'agit d’un modèle très rare. Les prix trouvés sur le Web varient de 500 $ à 3000 $, ce qui en fait l’élément le plus cher de toute l’installation s’il devait être acheté d’occasion aujourd’hui. L’amplificateur, de couleur marron foncé, comporte un grillage beige frappé de l’habituel logo Marshall. La présence physique et les références historiques véhiculées par l’amplificateur, du fait de son importance dans l’imagerie rock, sont visuellement très prégnantes dans l’installation.

 

Les câbles

Les câbles électriques et audio/vidéo délimitent la grandeur de l’installation et les distances entre les différents éléments. Tout d’abord, la longueur des câbles des blocs multiprises définissent le périmètre du cercle de moniteurs. La distance entre les moniteurs quand ils sont branchés sur ces prises définit la longueur des câbles audio et vidéo qui connectent les moniteurs en série. Les nouveaux câbles audio/vidéo (vidéo et audio sont rassemblés dans des connecteurs BNC et RCA) ont été fabriqués par la société 4E pour l’exposition à Argos en 2010, selon le souhait de l’artiste de voir les câbles pendre à un mètre du sol. L’espace entre les moniteurs n’étant pas toujours le même, les câbles ont des longueurs différentes, calculées sur la position des prises sur le câble d’alimentation. Pour l’artiste, il est important que le visiteur ait une vision claire de la manière dont le signal audio et vidéo est transmis à travers l’installation, c’est pourquoi il est préférable d’avoir un seul câble qui sort de l’amplificateur de distribution et non plusieurs.

 

(Fig. 5) L’installation lorsqu’elle utilisait encore un TBC et un amplificateur-distributeur de signal. Photo : Emanuel Lorrain.

 

La bande vidéo de ¾”

La bande maîtresse originelle a été enregistrée et montée sur une cassette U-matic BVU avec l’aide du service audiovisuel de l’université catholique de Louvain. En 2010, Frank Theys a réalisé un submaster numérique de la vidéo au format DV, dont il a fourni une copie au M HKA. Celle-ci est utilisée aujourd’hui comme bande maîtresse pour la duplication, lorsqu’une nouvelle copie U-matic est nécessaire. Plusieurs copies de cette vidéo d’une durée de deux minutes peuvent être enregistrées sur la bande d’une cassette U-matic. Pour réaliser la boucle, le début et la fin de chaque copie sont indiqués à la main sur la bande par des marques de respectivement une et deux lignes. Ensuite, la bande est coupée à un angle de 45° afin de respecter la méthode d’enregistrement hélicoïdal du format U-matic.

Lancé sur le marché par Sony en 1971, le format U-matic est aussi appelé le format ¾” en raison de la largeur de la bande. Dans les années 1980, Sony a commencé à commercialiser le nouveau format Betacam, après quoi l’U-matic a été de moins en moins utilisé dans le secteur broadcast. Aujourd’hui, la production de lecteurs ou de bandes U-matic a cessé, et si des stocks de bandes sont encore disponibles sur le marché, leur prix à l’unité est en hausse. Pendant les expositions récentes au M HKA et à Argos, la boucle a dû être remplacée plusieurs fois. Pour être sûr de pouvoir créer de nouvelles boucles à l’avenir, le M HKA devrait se constituer une réserve de bandes U-matic vierges et conserver au moins un bon enregistreur U-matic ainsi que des têtes de rechange.

 

(Fig. 6) Frank Theys fabricant une boucle avec la bande U-matic pour l’exposition au M HKA en 2010. Photo : Emanuel Lorrain.

 

Problèmes de conservation

 

Le manque de documentation

Bien que l’œuvre ait été montrée et transformée à plusieurs reprises dans le passé, le M HKA ne possédait pas de documentation complète sur l’installation. Il n’y avait que très peu de photographies des expositions précédentes. Ces fichiers contenaient également des erreurs considérables qui auraient pu mener à une mauvaise compréhension du fonctionnement et de l’esthétique de l’œuvre. Avant le début du projet Obsolete Equipment, ces photographies lacunaires étaient la seule documentation visuelle que possédait le M HKA sur cette œuvre.

L’exemple le plus parlant est la photo d’une exposition précédente au M HKA où l’installation n’avait été montrée qu’avec sept moniteurs, alors que le nombre exact de huit moniteurs est repris dans le titre et possède une connotation symbolique. Pour l’artiste, la forme du chiffre 8 rappelle celle d’une boucle et la représentation mathématique de l’infini (∞), faisant ainsi écho à la répétition continue du son et des images dans l’installation. Cette erreur s’explique sans doute par le fait qu’au moment où la photo a été prise, un des téléviseurs a pu tomber en panne et être retiré sans être remplacé.

Par ailleurs, sur cette même photo, on voit deux téléviseurs afficher des images différentes. Alors que certains moniteurs montrent le chanteur avec la bouche ouverte, sur l’un d’eux, il a la bouche fermée. Ils montrent deux moments de la vidéo distincts dans le temps, alors qu’en principe, le même signal vidéo est diffusé simultanément sur huit moniteurs. En zoomant sur l’image, on s’aperçoit que celle-ci a été « photoshopée » pour insérer une capture de la vidéo à l’intérieur du cadre des téléviseurs. La raison d’un tel trucage était probablement que l’image vidéo n’était pas parfaitement visible sur les écrans des téléviseurs ; ils étaient sans doute éteins ou trop lumineux.

Une telle documentation aurait pu induire en erreur les futurs conservateurs ou commissaires d’exposition. Ils auraient pu se demander d'où provenait le second signal, ou comment un décalage avait été introduit entre les deux moniteurs. C’est en raison de la découverte de ce manque de documentation que, pendant l’exposition au M HKA en 2010, l’œuvre a été filmée par l’artiste et photographiée. La documentation a ensuite aussi été complétée au cours de l’exposition à Argos en 2010 : vidéos, recommandations et plans ont été créés en collaboration avec l’artiste. Ces nouveaux documents ont été ajoutés au dossier du musée, dont les images « photoshopées » ont été également retirées.

 

Usure des équipements

L’un des problèmes principaux pour la conservation d’Oratorium est l’usure due à l’utilisation des équipements. Le lecteur U-matic (qui n’était pas neuf quand l’œuvre a été créée) n’est pas conçu pour être utilisé sans arrêt huit heures par jour pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Certaines pièces, plus sensibles à l’usure que d’autres, pâtiront de cette utilisation intensive. Les têtes de lecture magnétiques s’useront rapidement et ne seront vite plus en mesure de diffuser un signal satisfaisant. Les parties mécaniques seront victimes de l’érosion et les moteurs et composants électroniques du lecteur rencontreront progressivement des problèmes. Étant donné qu’une partie du lecteur a été retirée pour modifier le chemin de la bande, les composants internes ne sont plus protégés contre la poussière et les particules présentes dans l’air. Ces derniers peuvent facilement s’accumuler sur les composants électroniques et les mécanismes, et accélérer ainsi leur détérioration.

En outre, la bande abîmera le lecteur à cause des particules qu’elle perd au contact des supports métalliques, mais aussi de la poussière qui s’y dépose lorsqu’elle traverse l’espace d’exposition. Afin de ralentir ce processus et de parvenir à un trajet de la bande avec moins de frottement, des tubes de plastique ont été placés sur les trépieds pendant l’exposition au M HKA. Lors de l’exposition à Argos, des tubes de Téflon (polytétrafluoroéthylène) remplaçaient ceux en plastique, le coefficient de friction du Téflon étant inférieur à celui du plastique. Cette légère optimisation approuvée par l’artiste, permet à la bande d'être moins abrasive pour les têtes de lecture, ce qui économise un peu de leur durée de vie limitée.

 

(Fig. 7) Tubes de Téflon placés sur les trépieds pour l’exposition d'Oratorium For Prepared Video Player And Eight Monitors à Argos – Center for Art and Media en 2010. Photo : Emanuel Lorrain.

 

Les canons à électrons et les tubes électroniques des moniteurs à tube cathodique ont également un nombre d’heures d’utilisation limité. La durée de vie moyenne d’un tube cathodique est de 30 000 heures ; cette limite pouvant être dépassée comme jamais atteinte. Cependant, même si un tube cathodique fonctionne 30 000 heures, le canon à électrons cessera de produire suffisamment d’électrons pour donner une image satisfaisante, avant même d’avoir atteint ce nombre d’heures d’utilisation. Le filament du canon à électrons peut aussi se casser, ce qui rendrait le moniteur absolument irréparable. L’usure de la couche de luminophores du tube peut également rendre un moniteur inutilisable. Un autre risque potentiel pour les moniteurs, surtout avec une image statique comme dans Oratorium, est l’apparition de burn-in (image fantôme restant affichée à l’écran).

Pour allonger autant que possible la durée de vie des moniteurs, le musée devrait toujours régler le contraste et la luminosité au minimum acceptable pour l'œuvre, car ce sont les principaux facteurs d’usure d’un tube cathodique. En effet, quand ces réglages sont hauts, la couche de luminophores reçoit plus d’électrons et s’use plus rapidement. Ce principe est aussi vrai pour le canon à électrons lui-même, qui doit produire davantage d’électrons pour donner une luminosité et un contraste plus importants. Autrefois, lorsque le tube ou le canon à électrons d’un téléviseur était en fin de vie, certains fabricants remplaçaient le canon. Cela n’est plus possible aujourd’hui, sauf en faisant appel à quelques petites entreprises dont les services coûtent très cher, sans garantie de résultats satisfaisants. De plus, même avec les outils adéquats, un bon canon à électrons de rechange serait probablement trouvable. Une autre procédure courante pour rafraîchir un moniteur à tube cathodique consiste à utiliser un régénérateur qui permet d’allonger la durée de vie du canon à électrons. Encore une fois, la réussite de cette opération n’est pas assurée, et si elle fonctionne, l’effet bénéfique ne sera que de courte durée.

 

Pannes d’équipements

Juste avant l’inauguration de l’exposition au M HKA en 2010, le lecteur cessa de fonctionner correctement. Le technicien Jan Donvil s’est rendu au musée pour identifier la source de la panne et a estimé que celle-ci ne pourrait être réparée à temps pour l’ouverture de l’exposition. Grâce à un lecteur de rechange du même modèle disponible au M HKA, Jan Donvil a pu reconstruire un appareil en état de marche. Comme l’artiste avait modifié le lecteur U-matic original, la procédure de remplacement ne consistait pas simplement à remplacer un appareil par un autre ; il fallait modifier le chemin de la bande et le boîtier du lecteur. Le lecteur de rechange a aussi été testé et nettoyé par Jan Donvil pour servir d’appareil de secours en cas de problème, mais ce dernier n’était pas censé être utilisé avant un certain moment. Malheureusement, ce moment est arrivé plus vite que prévu.

Une semaine après le remplacement, les têtes du nouveau lecteur récemment transformé se sont cassées, et on a une nouvelle fois dû faire appel à Jan Donvil. Celui-ci a remplacé le tambour supérieur de l’appareil de réserve avec celui de l’orignal. La machine ainsi reconstruite s’est révélée beaucoup plus sensible que l’originale à une mauvaise tension de la bande. Lorsque celle-ci était trop tendue ou pas assez, les parasites visibles à l’écran étaient trop nombreux. La hauteur et la position des supports les plus proches de l'entrée du lecteur U-matic sont très importantes pour obtenir une tension correcte. Même si un angle d’environ 45° doit être respecté de chaque côté, il faut toujours légèrement déplacer les trépieds pour arriver à la bonne tension de la bande lorsqu’on installe l’œuvre. Cette tension ne peut pas vraiment être documentée avec précision car qu’elle est très intuitive et dépend à la fois de la position des huit trépieds et du chemin de la bande.

 

Manipulation de l’œuvre

Lors de l’entretien, de l’installation ou de la monstration d’une œuvre comme Oratorium, les équipements électroniques peuvent être victimes de mauvaises manipulations : chute, utilisation d'une mauvaise bande, voltage inadéquat ou installation électrique défectueuse pouvant causer une surtension dans l’appareil… Des conditions de sécurité insuffisantes dans l'espace d'exposition, augmenteront les risques qu’un visiteur fasse tomber un moniteur ou touche la bande. Lorsque l’œuvre est montrée, Oratorium devrait idéalement être surveillée par un gardien qui s’assure que personne ne touche aux équipements ; un visiteur curieux et insouciant pourrait être tenté de toucher la bande pour voir si cela modifie l’image vidéo. C’est pourquoi le contrat de prêt établi entre Argos et le M HKA stipulait que l’œuvre doit être surveillée en permanence. Comme nous l'avons vu, la simple mise en marche du lecteur vidéo d’Oratorium pour lancer la lecture de la boucle est une opération difficile et risquée, parce qu’il est crucial que la bande est la bonne tension. Les membres du personnel chargés de manipuler les équipements doivent être formés à cette fin et toujours être au moins deux lorsqu’ils démarrent l’installation. Il est essentiel de s’assurer que la bande ne quitte pas les supports prévus et ne s’enroule pas dans le lecteur U-matic, où elle pourrait casser une partie mécanique ou abîmer le matériau fragile à base de ferrite dont se composent les têtes de lecture.

 

Stratégies de conservation

Considérations générales

Dans une interview de Bruce Nauman reprise par Pip Laurenson dans son article Authenticity, Change and Loss in the Conservation of Time-Based Media Installations, l’artiste évoque la préservation de son œuvre Art Makeup :

« C’est lorsqu’on doit maintenir en vie une technologie qui a quasiment disparu, qu’il faut décider si elle fait réellement partie de l’œuvre ou si elle peut être remplacée » (Laurenson, P. 2006).

Appliquée aux équipements de l’installation de Frank Theys, la question de savoir ce « qui peut être remplacé » et ce qui « fait réellement partie de l’œuvre » est déjà partiellement résolue par le titre de l’installation. Avant même de la voir, on sait qu’elle sera composée d’un lecteur vidéo modifié et de huit moniteurs, et qu'elle a été spécialement créée pour ces appareils. Si pour de nombreuses installations vidéo, le système de lecture d’origine utilisé par l’œuvre (VHS, Laserdisc…) peut être remplacé facilement par une technologie plus récente comme un lecteur DVD, un ordinateur ou un lecteur de mémoire flash, ce n’est pas possible ici. Des stratégies comme la migration partielle ou totale vers de nouveaux supports et technologies ne conviennent pas aux équipements d’Oratorium. Ceux-ci font partie du concept, et déterminent son historicité ainsi que son aspect. À aucun moment des écrans Plasma ou LCD ne pourront remplacer les huit moniteurs CRT cubiques. De plus, même en laissant de côté ces considérations éthiques et esthétiques, l’œuvre ne « fonctionnerait » tout simplement plus sans ses équipements d’origine.

Une exception peut être faite au sujet de l’amplificateur qui a déjà été remplacé au moment de l’acquisition. L’artiste a indiqué que si le modèle actuel tombait en panne sans qu’on puisse le réparer (ce qui est peu probable pour l’instant, puisqu’on trouve encore facilement toutes les pièces de rechange telles que les tubes électronique), on pourrait le remplacer par un amplificateur de guitare basse de la même époque possédant des dimensions et une couleur similaires. C'est une chance pour le M HKA, dans la mesure où le prix de l’amplificateur actuel pourrait être supérieur à la somme déboursée par le musée en 2004 pour acquérir l’œuvre (2 000 €). Bien que l’amplificateur Marshall soit remplaçable, la référence "rock" qu’il véhicule doit être conservée. Combiné aux connotations religieuses du titre de l’œuvre, l’amplificateur accentue l’intéressant contraste qui nait du mélange entre, d’un côté, la culture populaire du rock et du football et, de l’autre, l’autel et la musique du chœur. Lorsque nous avons évoqué avec Frank Theys cet aspect qui nous paraissait important, il a même confirmé que cette référence existait depuis le début (en arrière-plan) puisque son père utilisait les enceintes noires d’origine lorsqu'il jouait dans un groupe. Il a ajouté qu’un nouvel amplificateur devrait posséder cet aspect familier qui apporte à l’œuvre une référence culturelle très répandue.

 

(Fig. 8) L’amplificateur Marshall de Oratorium For Prepared Video Player And Eight Monitors pendant l’exposition Collectiepresentatie XXV au M HKA, à Anvers, en 2010. Photo : Emanuel Lorrain.

 

Émulation3 de l’œuvre

Au début du projet de recherche, on estimait qu’un des moyens pour préserver l’œuvre pouvait être de simuler la fonctionnalité de l’installation et de ses équipements. Une bande factice tournerait dans l’installation et une version numérisée de la vidéo serait diffusée par un lecteur caché. Par la suite, après les discussions avec l’artiste, il est devenu clair que ce n’était pas une solution acceptable ; cacher au spectateur la manière dont l’image apparaît irait à l’encontre de l’intention originale de l’œuvre, qui est précisément de révéler ses propres mécanismes. On perdrait la connexion visuelle entre l’image vidéo et son support, ainsi que les interruptions du signal et les problèmes de tracking causés par l’instabilité du chemin de la bande. Le tremblement visible de l’image, dû à l’irrégularité de la transmission du signal vidéo, est une partie intégrante de l’œuvre, dont le rôle dans la « magie » de l'œuvre est encore plus grand aujourd’hui – dans le monde binaire qui est le nôtre. De plus, lorsque des tentatives pour numériser des séquences de la boucle vidéo ont été réalisées à Argos, le logiciel de capture était incapable d’enregistrer les différents artefacts vidéo visibles à l’écran. Ce sont les moniteurs eux-mêmes qui produisent ces drop out quand ils interprètent en quelque sorte une perte de signal. C'était comme si l’œuvre elle-même refusait d’être numérisée et réaffirmait sa nature analogique – visible seulement par l’association d’un lecteur U-matic et de moniteurs à tube cathodique. C’est une des raisons pour lesquelles il est essentiel de conserver et de maintenir en état les équipements de lecture et de monstration obsolètes de l’installation.

 

Collecter les équipements

Étant donné que tous les équipements utilisés dans Oratorium finiront par tomber en panne et deviendront un jour irréparables, il faudra les remplacer par d’autres appareils. Obtenir des appareils neufs auprès des fabricants s’avère déjà chose impossible. Il est dont urgent d’acheter tous les appareils disponibles sur le marché d’occasion et celui des « new old stocks ».

Concernant les équipements vidéo comme les moniteurs professionnels et les lecteurs U-matic, le projet Obsolete Equipment a montré que parfois, au lieu de compter uniquement sur des solutions telles qu’eBay (qui, bien sûr, est un merveilleux moyen de trouver des équipements) pour se procurer un appareil, il est plus intéressant de trouver des réserves d’équipements locales comme celles de stations de télévision, d’universités, d’archives, etc. qui renouvellent leur infrastructure audiovisuelle. Pendant le projet de recherche, sont ainsi apparues plusieurs opportunités d’acquérir des lecteurs U-matic par le biais de ce type d’institutions. En plus d’être moins chers, les équipements provenant de studios professionnels sont souvent en meilleur état – à moins qu'ils n'aient été énormément utilisés. Une maintenance régulière est en effet souvent assurée en interne par des techniciens.

Alors que deux lecteurs U-matic (à chargement par le haut) étaient déjà stockés au M HKA, le musée ne possède que huit moniteurs du modèle actuellement utilisé dans l’installation. Cela signifie qu’il ne dispose d’aucun moniteur de rechange en cas de panne. La production de l’Abus Profiline TV8121, comme celle de presque tous les autres moniteurs à tube cathodique, a cessé. Il est extrêmement difficile de trouver exactement le même modèle, même sur le marché d’occasion. Dès lors, il serait plus intéressant pour le M HKA d’utiliser comme moniteurs de rechange des modèles plus répandus et de marques plus connues telles que JVC ou Sony. Tout d’abord, un appareil utilisé par plusieurs établissements (stations de télévision, hôpitaux…) a plus de chances d’apparaître dans des « new old stocks » ou sur le marché de l’occasion. Deuxièmement, en achetant des marques plus répandues, il sera plus facile de trouver des pièces de rechange et des ressources techniques pour ces appareils (p. ex. des discussions dans des forums au sujet de pannes récurrentes). Bien entendu, le musée doit acheter en même temps le plus possible de moniteurs de rechange similaires, afin d’éviter si l'un des moniteurs ne marche plus de reproduire le cas des téléviseurs JVC utilisés auparavant.

Comme nous l’avons expliqué plus haut, tous les composants des équipements s’usent et peuvent tomber en panne, mais certaines pièces clés et connues pour être très fragiles doivent être collectées en priorité. C’est dans ce but que Paul Klomp a créé une Proposition pour une analyse de risque au niveau du composant, dans le cadre du projet Obsolete Equipment. Dans Oratorium, ce sont les têtes de lecture qui se sont montrées les plus susceptibles de poser problèmes. Pour les autres pièces, la situation est plus complexe, parce que chaque équipement a ses propres faiblesses liées à sa conception ou aux composants utilisés par le fabricant. Les THT (qui fournissent la haute tension dans les tubes cathodiques) et les tubes cathodiques eux-mêmes sont les plus problématiques s’ils tombent en panne. Plutôt que de collecter des pièces de rechange pour les moniteurs et même pour le lecteur vidéo, il est préférable de collecter des unités complètes. Acheter des tubes cathodiques et des THT de rechange peut revenir plus cher et s’avérer plus risqué que d’acquérir des appareils entiers, car leur qualité est difficilement contrôlable. Les équipements défectueux doivent également être conservés puisqu’on pourra les cannibaliser et en utiliser les pièces encore bonnes pour réparer d’autres équipements (comme ce fut le cas du lecteur vidéo du M HKA).

 

Stockage et maintenance

« On a depuis trop longtemps sous-estimé l’importance de collecter et de stocker des équipements. Bien que le stockage soit l’approche traditionnelle des conservateurs de musées, cette pratique ne s’est jamais généralisée aux équipements utilisés dans les œuvres d’art médiatiques. Il arrive souvent que les équipements nécessaires pour une installation ne soient plus disponibles ou que la réserve d’équipements soit utilisée pour montrer d’autres œuvres » (Wijers, G. 2010).

En effet, collecter et stocker des appareils électroniques est une pratique nouvelle pour les musées qui sont davantage habitués à conserver des objets d’art traditionnels, pour lesquels des recommandations de préservation se sont constituées au fil des ans. Or, les conditions nécessaires pour leur stockage ne sont pas plus exigeantes que pour d’autres types d’objets ou de matériaux. La plupart des dangers qui menacent ces équipements ont les mêmes origines : les conditions de stockage (humidité, température, poussière…), les facteurs environnementaux tels que la lumière (jaunissement et décoloration des machines) ou l’oxygène (dégradation des courroies en caoutchouc), le vieillissement (perte des propriétés des composants) et les phénomènes naturels comme la corrosion ou l’oxydation. Si les équipements ne sont pas stockés dans de bonnes conditions, c’est souvent parce que l’institution ne les considère pas comme une partie intégrante de l’œuvre.

Quand on a ressortie le lecteur U-matic d’origine d’Oratorium pour l’exposition au M HKA, il était manifeste que les conditions de stockage avaient été mauvaises. Une grande quantité de poussière s’était introduite dans le lecteur, celle-ci étant probablement à l'origine de la première panne survenue au M HKA avant l’ouverture de l'exposition. En pénétrant dans un appareil, la poussière a plusieurs effets négatifs. Elle s’accumule dans les mécanismes du lecteur et sur les têtes de lecture, perturbant ainsi leur bon fonctionnement. De manière générale, la poussière est néfaste pour n’importe quelle pièce d’un appareil électronique. Elle augmente la chaleur interne et empêche l’air chaud de s’évacuer correctement, un élément essentiel pour la longévité des composants. La poussière retient aussi l’humidité, créant des zones conductrices et des décharges électrostatiques dans l’appareil. D’autres exemples d’effets néfastes de la poussière existent pour chaque type d’équipement.

Tous les équipements et pièces de rechange d’Oratorium devraient être stockés sur des rayonnages et dans des conditions adéquates. Ils doivent être protégés de la poussière et des autres dangers extérieurs. Pour ce faire, on peut les ranger dans des boîtes ou des sacs hermétiques. Après l’exposition, ils devraient être nettoyés et entretenus afin d’être stockés dans le meilleur état possible. De meilleures conditions de stockage et de maintenance réduisent le besoin de faire appel à des techniciens. L’intervention d’un technicien à chaque panne du lecteur U-matic a coûté cher au M HKA, d’autant que l’intervention était urgente, vu l’imminence de l’inauguration de l’exposition. Bien sûr, même dans des conditions de stockage parfaites, certains composants des équipements s’useront, deviendront instables et sources de pannes (fuites des condensateurs ou des batteries, par exemple). Cela dit, de bonnes conditions de stockage et de maintenance aideront à retarder ces problèmes.

 

Allumer les équipements ?

Si on rallonge la durée de vie de certains composants (comme les têtes de lecture ou les tubes cathodiques) en ne les utilisant pas pendant un certain laps de temps, certaines pannes peuvent aussi trouver leur origine dans de longues périodes de stockage et d’inactivité. S’il existe peu de statistiques et de recherches sur les pannes des appareils électroniques liées à une situation de dormance, des informations ont pu être recueillies au cours du projet Obsolete Equipment grâce à l’expérience des ingénieurs et techniciens en électronique. En se basant sur une série d’entretiens avec eux, il est clairement apparu qu’en raison des propriétés de certains composants, il serait bénéfique d’allumer régulièrement les équipements stockés durant de longues périodes. Cette procédure permettrait aux composants présentant un taux de défaillance élevé, comme les condensateurs, de conserver leurs propriétés plus longtemps, évitant ainsi de futures réparations. Les parties mécaniques telles que les galets et les courroies en caoutchouc du lecteur U-matic en bénéficieraient aussi, puisque cela entretiendrait leurs formes et leur mobilité.

Il n’existe cependant aucune base scientifique sur laquelle fonder une telle routine de maintenance, ni de chiffres exacts sur la fréquence et la durée recommandées pour cette procédure. Les recommandations recueillies dans les entretiens avec les ingénieurs et techniciens varient d’une fois par mois à une fois par an, en ce qui concerne la fréquence, et d’une heure à une demi-journée, en ce qui concerne la durée de l’opération. Ce type de calcul résulte d’un compromis entre le nombre maximal d’heures d’utilisation d’un appareil et le risque de pannes dues à de longues périodes d’inactivité. Les contraintes de temps et de personnel seraient probablement le facteur le plus déterminant pour qu’une institution qui collectionne des œuvres médiatiques, comme le M HKA, mette en œuvre une telle routine pour sa réserve d’équipements. Allumer régulièrement les équipements permettrait au M HKA d’inspecter sa collection et de détecter à temps les appareils défectueux qui doivent être entretenus, réparés ou remplacés. Le principal argument contre une telle procédure est le fait que des manipulations supplémentaires augmentent le risque de mauvais traitement.

Dans son ouvrage Electronic Failure Analysis Handbook, Perry L. Martin défend que de tels processus réguliers sont néfastes pour les équipements électroniques stockés : « Le test périodique des composants et unités stockés est déconseillé. Les données historiques indiquent que des pannes sont apparues à cause de ce type de tests. À l’origine de nombreuses pannes, on trouve les procédures de test, les équipements servant à ces tests et les erreurs de l’opérateur » (Martin, P.L. 1999). Bien que l’argument de Perry L. Martin fasse sens, dans le contexte des œuvres d’art qui utilisent des équipements obsolètes dédiés, la possibilité d’identifier rapidement un appareil défectueux représente peut-être le meilleur moyen de trouver une solution avant qu’il ne soit trop tard – qu’il s’agisse de le réparer ou de le remplacer. Des vérifications régulières pourraient également permettre de prévenir des dégâts futurs. Si, par exemple, on détecte assez tôt un condensateur défectueux causant un problème d’image, on serait en mesure de le retirer avant qu’une éventuelle fuite n’endommage le reste de l’équipement et ne cause d’autres problèmes ou des dégâts permanents aux composants voisins. Dans ce dernier cas, la réparation serait bien plus difficile, voire impossible.

 

(Fig. 9) Un condensateur défectueux dans le bloc d’alimentation d’un ordinateur. Photo : Emanuel Lorrain.

 

Récolter de la documentation technique

Récolter de la documentation technique est un processus étroitement lié à la maintenance et au stockage des œuvres d’art utilisant des équipements électroniques. C’est pourquoi la documentation complète d’Oratorium doit inclure les manuels d’utilisation et d’entretien pour chaque appareil faisant partie de l’œuvre. Qu’ils soient conservés avec le reste de la documentation ou dans une bibliothèque technique distincte, le musée doit les collecter car ils contiennent des informations utiles et cruciales (telles que l’humidité relative ou la température idéales pour le stockage, les instructions de réglage, les références des pièces, les schémas…). Les manuels d’entretien sont indispensables pour la maintenance et le dépannage des équipements. Quand ceux-ci doivent être réparés, la documentation technique peut faire gagner beaucoup de temps au technicien et ainsi réduire le prix d'une réparation. Si le technicien doit chercher un manuel lui-même, tracer une portion de circuit à la main ou rechercher la référence d’une pièce, le coût final de l’intervention sera probablement beaucoup plus important.

Heureusement, grâce à Internet, il est plus facile de trouver des informations et de la documentation techniques pour un grand nombre d’appareils obsolètes. Quand les fabricants ne fournissent plus cette documentation, de nombreux moyens pour se la procurer subsistent : eBay, dépôts de manuels gratuits en ligne, vendeurs de copies numérisées… Pour les équipements anciens et rares tels que le lecteur U-matic, les sites de collectionneurs comme LabGuy’s World pour les appareils vidéo, ainsi que d’autres ressources telles que les forums ou les groupes de discussions de passionnés comme le Old VTR’s Group, peuvent souvent être utiles afin de trouver la documentation manquante. Ces communautés d’utilisateurs existent pour pratiquement tous les types d’équipements. Par exemple, les schémas de l’amplificateur Marshall ont été trouvés au cours de cette recherche sur le site Amp Archives ( AmpArchives.com), où on peut les télécharger gratuitement.

Cependant, même sur le Web, trouver la documentation d’un équipement vendu par une petite compagnie, comme les moniteurs Abus Profiline d’Oratorium, peut s’avérer difficile. Le manuel d’utilisation de cet appareil était disponible sur le site de l’entreprise, mais le reste de la documentation était introuvable sur Internet. Même le fabricant ne pouvait plus le fournir. Les seules personnes ayant accès à ces documents appartiennent au service des réparations de l’entreprise, qui ne se charge d’aucun travail de maintenance après l’expiration de la garantie. Comme nous l’expliquions plus haut, cet aspect constitue un autre argument pour privilégier des modèles et des marques plus largement répandus.

 

Constituer un réseau de techniciens compétents et préserver leur savoir

Une fois que l’institution dispose de la documentation nécessaire, elle a besoin de quelqu’un qui possède les connaissances pour l’utiliser. Avec l’obsolescence des équipements analogiques, il est plus difficile de trouver non seulement des unités et des pièces de rechange, mais aussi les personnes qui auront les compétences pour les réparer et les entretenir. Ces professionnels partent progressivement à la retraite et les nouvelles générations d’électroniciens n’apprennent plus systématiquement l'électronique de composants. Jusqu’à aujourd’hui, chaque fois qu’un problème est survenu avec Oratorium, la compagnie 4E a pu se charger de la maintenance et des réparations nécessaires. Miel Engelen (l’ancien directeur de 4E) étant l’un de ceux qui ont assisté Frank Theys en 1989 pour modifier le lecteur U-matic, 4E se révèle être une bonne solution et un excellent partenaire. Miel Engelen a déjà pris sa retraite et, heureusement, Jan Donvil l'ingénieur responsable de la du service après vente lui a succédé pour la maintenance d’Oratorium, à chaque fois qu’il y a un problème. Cependant, il existe un risque qu’un jour, plus personne chez 4E ne soit en mesure d’aider le M HKA. Pour se préparer à cette éventualité, le musée doit chercher d’autres solutions et recueillir en interne le plus d’informations possible sur le fonctionnement de l’œuvre pour s’assurer que ces connaissances (et l’œuvre) ne soient pas perdues.

 

(Fig. 10) Frank Theys et un technicien inspectent l’intérieur du lecteur pendant l’installation de l’œuvre au M HKA en 2010. Photo : Emanuel Lorrain.

 

Budget de conservation pour les équipements

La préservation à long terme d’Oratorium nécessitera, entre autres, des investissements en équipements de rechange. Si trouver des équipements obsolètes en bon état est déjà difficile en raison du temps qui passe, un budget de conservation limité peut être un autre obstacle majeur. Quand les unités de rechange ne sont pas achetées au moment de l’acquisition de l’œuvre, le seul moment où le service de conservation peut acheter des équipements, est souvent celui où l’œuvre est montrée. Le budget alloué à l’exposition peut alors servir à financer des appareils de rechange afin de s’assurer que l’installation pourra être montrée pendant toute la durée de l’exposition. Cette réalité économique empêche d’agir rapidement. Malheureusement, plus on attend, plus les équipements se raréfient, plus ils deviennent chers et moins on a de chance de les trouver en bon état.

Oratorium a eu une vie très active depuis 2010 et doit être exposée l’année prochaine au Caffa Art Museum de Beijing, en Chine. Ce serait l’occasion idéale pour le conservateur et le musée d’accomplir les investissements nécessaires en équipements, non seulement pour pouvoir montrer l’œuvre lors de cette exposition, mais aussi en vue de celles à venir.

 

Conclusion

Comme nous l’avons expliqué, la « connexion continue entre l’image et le support » et la nature proprement analogique d’Oratorium excluent toute possibilité de migration ou de modernisation de ses composants, faisant du stockage d’équipements et de bandes de rechange la seule stratégie possible afin de préserver l’œuvre à long terme et de manière satisfaisante.

L’étude de cas d’Oratorium, dans le cadre du projet Obsolete Equipment, a permis d’établir une liste des principaux problèmes auxquels le M HKA sera confronté s’il veut continuer à exposer cette œuvre. Cela a également permis de dresser la carte des étapes nécessaires pour anticiper au mieux les problèmes de préservation. Les entretiens avec l’artiste ont représenté un apport considérable afin de comprendre quels étaient les aspects essentiels de l’œuvre et comment les équipements jouent un rôle dans leur préservation. Les expositions au M HKA et à Argos ont permis de préciser et de documenter la manière dont l’œuvre doit être installée. Encore une fois, la présence de Frank Theys pendant le processus d’installation était précieuse. Un tel projet de recherche permettant d’étudier les différents aspects d’une œuvre est une chance pour le musée et surtout pour l’œuvre elle-même ainsi que son futur public.

Une fois qu’on a déterminé la stratégie de préservation la plus appropriée pour une œuvre, il incombe au musée de la mettre en œuvre le plus rapidement possible. Bien sûr, avec des œuvres telles qu’Oratorium, les limitations budgétaires ne le permettent pas toujours, mais des mesures comme s’assurer que les conditions de stockage sont correctes et que la maintenance et l’installation des œuvres soient accomplies avec soin, ne sont pas forcément coûteuses pour un musée. Cela dit, certaines mesures préventives impliquent une surveillance régulière des appareils à risques et des ressources disponibles en termes de services techniques et de réserves d’équipements de rechange. Ces mesures représentent bien entendu un effort continu, mais sont importantes afin de réduire les risques de dépenses futures en réparations ou en équipements. Et surtout, elles ralentissent le processus qui pousse vers ce moment fatidique où plus aucun équipement ne sera disponible et où l’expérience de l’œuvre ne pourra être que partielle et reposera sur une forme de documentation.

 

Notes :

 

 

  • 1. Ces études de cas, comme tous les articles, recommandations et autres ressources collectés au cours du projet, seront publiées sur le site de PACKED (Packed.be). Certains documents sont déjà en ligne et l’entièreté sera disponible fin 2011.
  • 2. Oratorium sera utilisé au lieu du titre complet dans le reste du texte
  • 3. Le terme d’émulation est compris ici au sens de la définition du Réseau des médias variables : « l’émulation d’une œuvre consiste à tenter d’en imiter l’apparence d’origine par des moyens tout à fait différents » (VariableMedia.net).
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